N°31 - L'apprentissage de l'écriture peut-il devenir un jeu d'enfant ?
✨ "Il est grand temps de rallumer les étoiles." Guillaume Apollinaire
👋 Salut Les petits résistants !
Dans un monde de plus en plus digitalisé, on écrit à vitesse grand V, on s’envoie des notes vocales, on Tiktoke à fond et pour rédiger un email à notre voisin c’est ChatGPT qui vient nous aider. C’est à y perdre notre Français, notre goût de l’orthographe et notre sens de la ponctuation.
Et nos enfants dans tout ça ? Aux dernières nouvelles du classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves piloté par l’OCDE tous les 3 ans qui mesure l’efficacité des systèmes éducatifs), la France arrive 29ème en compréhension de l’écrit et excelle en terme… d’inégalité scolaire. Les autres évaluations et études internationales se suivent et se ressemblent un peu trop.
Alors, comment (re)donner aux enfants le plaisir de l’écriture et le goût des mots ? Quels sont les enjeux autour de l’apprentissage de l’écrit ? La solution n’était-elle que celle du papier-crayon ? Faut-il jeter tous nos écrans à la poubelle ? Quels faux pas éviter à la maison ?
On vient frotter ici notre parentalité à la société, ses enjeux et ses injonctions… contradictoires ? S’entendre dire “Pas d’écran les enfants !” et dans le même temps devoir inciter à la connexion à la maison quand c’est le temps de faire les leçons. C’est à n’y rien comprendre, entend-on à la sortie des écoles.
Pour prendre de la hauteur, on démêle dans ce numéro, le fil des mots avec Delphine Saubaber, romancière et journaliste, et Aude Guéneau, fondatrice de l’application Plume qui entend relever le défi de l’apprentissage de l’écriture auprès des enfants de 7 à 14 ans.
🧡 Place au nouveau numéro. Bonne lecture à toutes et à tous !
Au sommaire
En tête à tête avec Delphine Saubaber, passeuse de mots et de pensées
L’actu qu’il fallait pas louper : bientôt un nouveau venu au programme scolaire ?
Le récap d’infos engagées
La fausse bonne idée : des rédac encore et encore !
🧡 En tête-à-tête
Entretien avec une personnalité qui fait bouger le monde. De quoi semer les graines de l’engagement et cultiver l’optimisme.
Dans ce numéro, je rencontre Delphine Saubaber. Ancienne grand reporter, romancière, et journaliste lauréate du prix Albert-Londres, cette passionnée des mots milite aujourd’hui pour que “l’écrit prenne plus de place dans la tête et le cœur des enfants.” Avec son enthousiasme contagieux, Delphine Saubaber entend clouer le bec à ceux qui pensent que les enfants n'ont pas grand-chose à dire et prouver que l'écriture est bien plus qu'une compétence, c'est une manière d'être au monde. Portrait.
Fille d’une professeure de français devenue journaliste, Delphine est depuis toute petite le nez dans les lettres. C’est aujourd’hui en tant que parent et citoyenne engagée qu’elle se mobilise. Car derrière la dégradation du niveau scolaire de l’écrit et de la lecture, Delphine voit un enjeu bien plus large que de simples statistiques d'échec scolaire, celui d’un “enjeu sociétal, philosophique, citoyen et existentiel pour nos enfants.”
Retrouver le plaisir d’écrire
On peut être une petite fille baignée dans les livres et pourtant n’y prêter aucun véritable intérêt. Ce fut l’amer constat de Delphine en voyant que sa fille de 7 ans ne manifestait aucun goût particulier ni pour l’écriture ni pour la lecture. Un jour en rentrant d’un séjour à la montagne, elle l’invite à choisir un cahier, qui deviendra, elle le comprendra ensuite, “un véritable trésor” pour sa fille. Delphine initie des jeux autour des mots sur la base du concept anglo-saxon du “creative writing” qui pense l’écriture comme un espace de liberté et d’expression personnelle plutôt qu’une série de règles à suivre. Les jeux d’écriture et les histoires à quatre mains se succèdent jusqu’à ce que Delphine voie sa fille prendre confiance et se laisser aller à son imagination. Les amis parents la sollicitent et en deux mois, 70 enfants arrivent à elle. Ainsi naissent les ateliers d’écriture dans lesquels Delphine met toute son énergie à distiller du plaisir dans l’art d’écrire auprès des enfants.
Car pour Delphine le constat est édifiant. Elle voit arriver dans les ateliers qu’elle dispense auprès des enfants de 5 à 12 ans des enfants souvent craintifs à l’idée d’écrire. Pour elle, ce n’est pas simplement une question de compétence technique. C'est un problème plus profond : l’écriture est perçue comme une contrainte plutôt qu'une libération.
Redéfinir l’enjeu de l’écrit
Demander au Larousse ce qu’écrire signifie et vous apprendrez que c’est d’abord tracer les signes d’un système de représentation graphique, savoir former des lettres, puis aussi orthographier, pour enfin exprimer sa pensée correctement.
Faire que les enfants puissent exprimer leur pensée : il est ici le plus grand défi pour Delphine Saubaber. Aspirés par un monde tout écran et bientôt tout IA, lisant de moins en moins, les élèves n’arrivent plus à articuler une pensée. “Je lis donc je suis. J’écris donc je suis.” Voici comment pourrait se résumer l’enjeu de l’apprentissage de l’écriture.
“Apprendre à écrire, c’est apprendre à penser, à fixer ses idées, à communiquer, à s’émanciper. À développer son esprit critique. C’est être présent, s’inventer un monde intérieur. C’est pouvoir se relier à soi-même et à l’autre par les mots. Que se passera-t-il demain si ces notions essentielles à la fondation de tout être humain, de toute société, de toute civilisation sont battues en brèche ?” se demande Delphine Saubaber dans une tribune co-écrite avec la comédienne Isabelle Carré et parue dans le journal Le Monde le 5 septembre 2023.
Repenser l’apprentissage de l’écriture…
De ses ateliers, Delphine ressort fascinée par la manière dont les enfants produisent des phrases et des pensées. “Ils me clouent”, dit-elle, ébahie par leur capacité à formuler des idées profondes quand on leur en donne l’espace et la confiance et quand on leur donne la possibilité de s’éveiller en tant qu’individu. “Savoir écrire ne se réduit pas à aligner des phrases, mais à donner du sens à ce que l’on écrit.” Dès lors, le fameux exercice de la dictée ne fait pas sens “s’il ne s’intègre pas dans de riches dispositifs d’enseignement de la langue”. Repenser l’approche de l’écrit dès les plus jeunes classes donc ? Et pour cela, il faut soutenir l’école et donner des moyens aux professeurs qui, confrontés à des programmes et des classes surchargées, font tout ce qu’ils peuvent… Vite, vite, vite, des politiques publiques ambitieuses !
… pour relever les défis de demain d’aujourd’hui
Les écrans à go-go et l’intelligence artificielle qui n’en est qu’à ses débuts, voilà qui constitue des défis importants qui nécessiteraient de repenser bien des choses, à commencer par l’approche de l’écrit. Car comme il serait tentant pour les plus jeunes (et les moins jeunes) de se jeter sur les outils numériques de l’IA comme les correcteurs automatiques, les générateurs de textes ou les assistants d’écriture pour parer au manque de maîtrise des compétences de base.
“Forgeons un esprit de résistance à travers les mots, ces mots qui servent à bâtir des valeurs communes ayant pour nom tolérance, curiosité, altérité, sans quoi, demain, la pensée sera vide. Peut-on se le permettre ?” Non on ne peut pas. Et pour mener ce genre de combat, Les petits résistants seront toujours là. Aux plumes citoyens !
🤓 L’actu qu’il fallait pas louper
Décryptage de l’actu qui m’a le plus chauffée…
Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle : ça s’agite (enfin).
👉 Dans un avis adopté le 10 septembre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a formulé 24 préconisations afin de rendre réellement effective le droit des enfants et des jeunes à une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (l’EVARS).
Dans la foulée, le 26 septembre dernier, Salima Saa, chargée de l’Égalité femmes-hommes, s’est exprimée en déclarant : « Il est temps de passer de la déploration à l’action (…) Il va falloir trouver de nouvelles idées et faire en sorte qu’elle soit vraiment appliquée, j’entends par là (…) ouvrir le sujet de la culture du consentement et avoir une vraie ouverture sur les sujets de santé sexuelle et d’éducation à la vie affective ».
Rappelons qu’en France, l’éducation à la sexualité a été rendue obligatoire à l’école en 2001, à raison de trois séances annuelles pendant toute la scolarité de l’élève. Pourtant, les enquêtes montrent que moins de 15% des élèves bénéficient de cet enseignement.
Face à ce constat, le Conseil supérieur des programmes avait publié un projet de programme (dont on avait parlé ici) avec pour objectif initial une mise en place à la rentrée 2024. C’est pourtant râpé pour cette rentrée puisque les textes définitifs n’ont pas encore été présentés.
Il n’empêche que les prises de paroles se multiplient et qu’on pourrait bien y arriver.
👉 Que préconise le CESE sur le sujet de l’EVARS ?
- Reconnaître l'EVARS comme une éducation essentielle dans les lieux qui accueillent des jeunes et la rendre effectif comme comme un droit pour l'émancipation des enfants et pour une société plus égalitaire
- Accompagner les familles, actrices de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle
Cécile Gondard-Lalanne, co-rapporteure de l'avis, rappelle l’objectif : « L'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle est une démarche transversale et progressive qui permet à l’enfant, tout au long de son développement, d'apprendre à se connaitre, à connaitre les autres et à construire des relations permettant d'aller vers plus d'égalité entre les femmes et les hommes »
Dont acte. Le défi est immense. Et les crispations sont nombreuses. Comme en témoigne l’existence de ce type de pétition rassemblant pas moins de 75 000 signataires et qui interpelle ainsi : “À l’école, enseignez-moi les divisions, pas l’éjaculation”.
Tiens donc… On se serait bien passés de ce moment de poésie.
📣 On laisse la parole sur le sujet à Quitterie Chadefaux, spécialiste des questions d’égalité, d’inclusion et de prévention des violences, autrice et animatrice du podcast La Chose Étrange - podcast d'éducation à la vie affective et sexuelle, par et pour les jeunes de 14-20 ans
💘 Pour soutenir Les petits résistants, vous pouvez désormais faire un don.
Créer le grand média des parents engagés pour un monde plus vert et égalitaire, 100% indépendant et sans greenwashing, ce n’est pas qu’un rêve puisqu’on est en train de le faire ! Pour continuer à produire cette newsletter bi-mensuelle, créer de nouveaux contenus (vidéos, podcasts, conférences) sur des sujets de société engagés avec le soutien de journalistes, rester indépendant et gratuit, votre soutien est précieux.
En tant que média d'information reconnu d'information politique et générale, Les petits résistants est habilité à recevoir vos dons via l'association J'aime l'info. Vous pouvez désormais nous faire un don unique ou mensuel (défiscalisable à 66% : un don 30 euros = 10,20 euros après déduction fiscale). MERCI 💘
Et bien sûr, la reco des copains, c’est aussi toujours un super moyen de nous soutenir.
🙅🏽♀️ La fausse bonne idée
Je débunke pour vous la fausse bonne idée du parent qui veut super bien faire. Because nobody’s perfect. Sauf ma mère.
Au rayon des fausses bonnes idées et des idées reçues en matière de production d’écrit chez les enfants, on donne la parole à Aude Guéneau, fondatrice de l’application Plume, et autrice de la newsletter La Réplique sur l’éducation engagée.
👉 “Faire faire des dictées à gogo et des rédactions supplémentaires à son enfant” : une fausse bonne idée ?
Votre enfant a une rédaction à faire et vous avez envie d’en remettre une petite couche pour parfaire son niveau de français. Vous avez dans l’idée de faire des petits exercices de dictée façon contrôle surprise… alors que votre enfant n’en a pas franchement envie.
Bonne ou mauvaise idée ?
Stop ! Vous l’avez compris, il est d’abord urgent de sortir de la tête de nos enfants qu’écrire est quelque chose de douloureux, associé à une note ou à un exercice scolaire. Donc on ne force pas pour forcer. Concernant la dictée, Aude Guéneau nous le rappelle d’abord : “La dictée ce n’est pas écrire ou rédiger”. Elle peut par ailleurs être perçue comme un exercice assez complexant qui, “si elle ne s’inscrit pas dans une progression articulée, c’est documenté, n’aidera pas à progresser en elle-même.” Alors on passe son chemin et on privilégie d’autres manières de faire pour remettre du plaisir dans l’art d’écrire.
👉 “L’apprentissage de l’écrit c’est papier-crayon et puis c’est tout” : une idée reçue ?
Attention débat. À l’heure du tout écran, est-ce une bonne idée de mettre une tablette entre les mains des enfants à des fins éducatives ?
Posez la question à Aude Guéneau, et elle bondira : “Je ne supporte plus l’amalgame entre les écrans récréatifs et le numérique éducatif. Cette polarisation du discours ne fait que culpabiliser les parents.” Aude Guéneau souligne : “Nous avons des données du CNRS qui montrent que donner accès aux enfants à des solutions de numérique éducatif qui sont étayées, permet de réduire l’inégalité entre les enfants. Par ailleurs, on voit très bien que les pays qui montent dans le classement PISA, comme Singapour, sont des pays qui pratiquent un numérique éducatif raisonné.”
En somme, ne pas mettre Tiktok et Fortnite dans le même sac que des outils d'apprentissage du numérique pensés pour consolider les savoirs fondamentaux des élèves ou encore réviser.
De l’urgence de mettre en place une vraie éducation aux écrans à destination des parents… et des enfants. Il serait sans doute absurde de penser que la société puisse se faire sans numérique et lutter contre la marée. Mais il le serait tout autant de continuer de laisser naviguer les familles à vue sur le sujet.
🗞️ Le récap’
Un condensé d’infos engagées à consommer sans modération.
👉 Clap de fin pour les publicités liées aux énergies fossiles. La Haye, 3ème ville des Pays-Bas, a voté l’interdiction de “toute publicité fossile” sur son territoire. Ciao les publicités pour les voitures thermiques, au revoir les affichages pour les voyages en avion, bye bye les campagnes pour les industries du charbon, du pétrole et du gaz. “Il serait illogique et intenable d’accepter la publicité d’une industrie qui cause des dégâts aussi évidents à notre planète et à ses habitants”, estime Leonie Gerritsen, élue municipale à La Haye, à l’origine de la mesure. Ah ça… !
Sur le thème de la communication responsable et du rôle de la publicité dans la transition écologique, retrouvez notre entretien avec Céline Réveillac, spécialiste de la question.
👉 Jeudi 3 octobre a eu lieu le lancement de la troisième édition du concours Les Petits Molières, premier concours d’écriture engagée du CP à la 3e. L’objectif ? Permettre à tous les enfants de faire entendre leur voix grâce à l’écriture. Cette année, la France accueille le XIXe Sommet de la Francophonie. Et le concours Les Petits Molières, présenté par Pilot, a décidé de s’emparer de son thème : « Refaire le monde » ! Les infos par ici, pour en toucher un mot aux professeurs de vos enfants !
👉 Réseaux sous protection. À tous les parents désespérés des réseaux, bonne nouvelle : Instagram va imposer des « comptes adolescents » aux mineurs. Tous les utilisateurs âgés de 13 à 17 ans seront automatiquement soumis à certaines restrictions visant à les protéger. Ces « comptes ado » pourront être supervisés par les parents. Arrivée prévue en France d’ici la fin de l’année 2024. « C’est une mise à jour importante, conçue pour que les parents aient l’esprit tranquille ». Grand bien nous fasse !
👉 Angoissés s’abstenir. Une étude alerte sur la hausse du nombre de produits chimiques en contact alimentaire retrouvés dans le corps humain. Ainsi, plus de 3 500 produits chimiques, dont des dizaines dangereux pour la santé, peuvent pénétrer dans le corps humain via les emballages alimentaires et les ustensiles de cuisine, selon l’étude. Rien de neuf sous le soleil pour quiconque s’intéresse à la santé environnementale. Si vous êtes abonnés aux Petits résistants depuis quelque temps, vous connaissez la leçon par cœur. Toujours les mêmes coupables : le Bisphénol A que l’on retrouve dans le revêtement des bouteilles, des boîtes de conserves ou des canettes. Mais aussi les phtalates dans les bouteilles plastiques, les encres d'impression des pots pour bébé, les résines de mélamine dans la vaisselle en plastique réutilisable, et les PFAS ou « polluants éternels » dans les fameuses poêles en téflon. Ça sent le ménage d’automne dans les cuisines !
Suite au prochain numéro !
🚀 On se retrouve dans 15 jours ? Si ce numéro vous a plu, partagez sans modération ! Un like, ou un commentaire sont aussi toujours les bienvenus.
🙌 Un bon samaritain vous a transféré cette newsletter et vous êtes déjà accro? Alors, il faut s’abonner !