N°45 - Littérature jeunesse et clichés de genre : est-ce que ça craint vraiment ?
Pour un nouveau chapitre
👋 Salut Les petits résistants !
Dans ce numéro, on parle de princesse en détresse, égalité, livre jeunesse (dans “En tête-à-tête) et stéréotypes ancrés bien au-delà dans la société (dans “L’actu qu’il fallait pas louper”). Est-ce que les stéréotypes de genre, ça craint franchement ? On vous dit tout dans ce numéro.
Avant d’attaquer, petit mea culpa. Un bug technique a empêché l’enregistrement de notre conférence “lutter contre le harcèlement scolaire” et nous n’avons donc pas de replay à vous proposer. Mais mais mais, vous pouvez toujours vous consoler avec le replay de notre conférence sur les réseaux sociaux (encore disponible ici pour quelques jours), et la perspective de notre troisième et dernière conférence à venir sur le thème “Lutter contre les stéréotypes de genre à l'école” qui aura lieu le mardi 12 juin à 20h30, en visioconférence.
🧡 Place au nouveau numéro. Bonne lecture à toutes et à tous !
Au sommaire
En tête à tête avec Julie Gielen-Michel : lire entre les lignes
L’actu qu’il fallait pas louper : agir contre les stéréotypes
Le vrac d’actu
🧡 En tête-à-tête
Entretien avec une personnalité qui fait bouger le monde. De quoi semer les graines de l’engagement et cultiver l’optimisme.
Dans ce numéro je rencontre Julie Gielen-Michel. Avec son regard affûté et sa plume aiguisée, elle traque les clichés de genre dans la littérature jeunesse et sensibilise aux questions de l’égalité fille-garçon via son compte Instagram @petitelectureinclusive. Julie vient de sortir un livre (“Croire aux fées mais pas aux clichés” Editions Tredaniel) pensé comme un guide pour les parents et leurs enfants soucieux de naviguer entre les pièges des stéréotypes sexistes. Pour s’intéresser à la question, encore faut-il comprendre les enjeux. On vous raconte !
Julie Gielen-Michel se consacre à l’analyse, à la relecture et à l’écriture de textes pour enfants depuis une dizaine d’années. Flanquées de quelques valeurs féministes, elle navigue d’abord dans notre doux monde avec une certaine fatalité (“le monde est ainsi fait!”), puis vient la claque de la grossesse (et d’une certaine objectivation du corps), de l’accouchement (et de la malheureuse expérimentation de violences gynécologiques) puis celle de la parentalité. Des claques féministes en somme qui, pour cette amoureuse des mots, formée en sociologie de la communication, vont l’amener à se révolter à la lecture de certaines histoires racontées à son fils.
“Les enfants sont entourés de livres qui façonnent leur vision du monde.”
Clichés dans la littérature jeunesse : de quoi parle-t-on ?
Connaissez-vous le syndrome de la Schtroumpfette ? “Qui est ta Schtroumpfette préférée? Blanche-Neige et ses sept potes, Marianne dans Robin des Bois ou Colette dans Ratatouille?” Ce syndrome, c’est le récit qui affiche davantage de personnages de genre masculin; le personnage féminin existant alors souvent uniquement à travers et pour eux : elle est épouse, mère, demoiselle en détresse, promise, faire-valoir…
Avez-vous déjà remarqué que les livres pour enfant résumaient souvent la colère des personnages féminins à un caprice ? Dans son livre, Julie Gielen-Michel nous invite à faire l’expérience de la recherche Google “album jeunesse sur les caprices”. Essayez-donc. Vous débusquerez plus de fée et de petite reine capricieuses que de pompier ou pilote d’avion du genre masculin (qui seraient eux, plutôt en colère-tout-court).
Peut-on parler des demoiselles en détresse ? “Blanche-Neige et Aurore seraient restées semi-mortes pour la vie sans le bisou forcé de leurs princes. Cendrillon serait encore coincée chez sa fielleuse belle-mère sans son prince amateur d’escarpins. Jasmine serait toujours dans son sablier sans Aladdin. Jane aurait été réduite en bouillie par les gorilles sans Tarzan.” Vous avez l’idée ? ;)
Les filles, de vraies pipelettes ? En tout cas pas dans la littérature jeunesse. En 2016, une étude menée par deux linguistes, affirme que les personnages féminins ont trois fois moins de lignes de dialogue que les personnes masculins dans les films de Disney (exemple : dans La Belle et la Bête, les hommes parlent 71% du temps). La même année, après analyse de 22 livres pour enfants de 8 à 12 ans (pour la plupart des best-sellers classés comme tels par le New York Times, à la fois contemporains et populaires), une chercheuse observe que la parole des personnages féminins ne représente que 37% du nombre total de dialogues.
You get it ?
Dans son livre, Julie Gielen-Michel consacre 52 fiches thématiques à ces clichés qui infusent dans la littérature jeunesse.
“Le propre des stéréotypes de genre, et plus globalement des clichés sexistes de la littérature jeunesse, consiste à poser un schéma récurrent comme allant de soi et de formater nos pensées en créant des cases qui n’autorisent pas la réflexion.”
Clichés dans la littérature jeunesse : c’est si grave, docteur ?
Bon, mais il y a-t-il vraiment de quoi s’agacer de ces clichés de genre qui trainent ici ou là (plutôt ici et là en réalité) dans les histoires de nos enfants ? “Le problème n’est pas l’occurence mais la récurrence”, nous souffle Julie. Car si le problème était cantonné aux livres, on ne serait pas loin d’être sorti de l’auberge. Sauf qu’à tous les coins de rue, de cours de récré, de rayons de jouets, les clichés pointent leur nez. Comme l’écrit Julie : “Le sexisme ordinaire, c’est comme des grains de sable dans une machine : chaque grain paraît insignifiant, mais, tous ensemble, ils endommagent sérieusement l’engin. De la même façon, les remarques, les clichés, qui n’ont pas l’air si graves au quotidien, créent en fait un environnement oppressif et inégalitaire qui nuit à tout le monde.”
La preuve en est ? Un chiffre, un âge. 7 ans. Et ce sont les recherches en sciences sociales qui le disent. C’est à cet âge que les enfants pensent spontanément à un homme quand ils se représentent une personne “intelligente”. C’est aussi au même âge, en CP, que les filles ralentissent toutes, en matière de maîtrise des mathématiques alors qu’au début de cette même année scolaire, les filles et les garçons affichent les mêmes niveaux dans cette matière. Résultat : les femmes sont sous-représentées plus tard dans les métiers scientifiques. Les filles étant davantage poussées vers des jeux de rôle (infirmière, maîtresse, coiffeuse, etc.), elles sont surreprésentées dans les métiers du “care” (= le soin) une fois devenues adultes.
Clichés dans la littérature jeunesse : faut-il sonner la révolution ?
Lutter pour l’égalité, est-ce que ça serait se débarrasser des ouvrages bourrés de clichés ? Dans son livre, Julie Gielen-Michel, appelle à la nuance : “Je ne pense pas que nous devrions interdire certains livres très stéréotypés. Au contraire, je suis pour continuer à lire tous les livres, en les contextualisant, en accompagnant leur découverte. Je ne tiens pas non plus à créer des injonctions à la perfection pour les auteu-rices, éditeurices et illustrateurices. Ce que je voudrais par contre, c’est encourage la réinvention de la littérature jeunesse et sa réappropriation par les femmes et les minorités de genre. J’aimerais des enfants libres de s’affranchir des stéréotypes.”
Et bonne nouvelle, Julie voit une vraie évolution sur ces sujets dans le monde de l’édition. Il y a d’abord les nouvelles maisons d’édition qui ont une identité de marque tournée vers la déconstruction des stéréotypes de genre. Il y a aussi de grandes maisons d’édition qui prennent le sujet à bras le corps avec une vraie envie de mieux faire. Et celles qui le font contraintes et forcées… mais qui le font quand même !
Tous les espoirs sont donc permis au royaume des clichés. Et si vous avez désormais à cœur de les débusquer, courrez lire le livre de Julie Gielen-Michel et amusez-vous, avec vos plus grands enfants, à les démasquer !
🤓 L’actu qu’il fallait pas louper
Décryptage de l’actu qui m’a le plus chauffée…
Stop aux clichés ! Ce lundi 12 mai, France Stratégie a présenté son rapport afin de lutter contre les stéréotypes de genre. Vingt mesures sont proposées au gouvernement pour muscler les politiques publiques et l’éducation auprès des plus jeunes.
Constats clés
L’enquête menée par France Stratégie révèle que malgré des progrès dans la réduction des inégalités de genre, les stéréotypes de genre restent très présents (voire, sont en recrudescence), sont intégrés très tôt, dès l’enfance, et sont largement véhiculés par la famille, l’école, les médias, et désormais amplifiés par les réseaux sociaux.
Chez les jeunes (11-17 ans) : les stéréotypes sont déjà fortement ancrés (54 % pensent que les mères répondent mieux aux besoins des enfants).
Chez les jeunes adultes (18-24 ans) : on constate une montée des stéréotypes par rapport à 2014.
Le numérique accentue ces représentations sexistes via les algorithmes et formats qui favorisent certains contenus.
👉 Cercle vicieux : les stéréotypes renforcent les inégalités, qui à leur tour alimentent les stéréotypes. Le serpent qui se mord la queue.
Bilan des politiques publiques :
Des efforts ont été faits sur les violences et inégalités professionnelles.
Les actions ciblant les stéréotypes eux-mêmes restent insuffisantes et inégalement mises en œuvre.
20 recommandations sont proposées dans le rapport France Stratégie, regroupées en 5 axes :
Faire de la lutte contre les stéréotypes une priorité politique durable
Et notamment construire un portage politique fort, pour rendre plus visibles et mieux coordonner les actions des différents ministères.
Réduire la pénalité liée à la maternité et promouvoir la coparentalité
…car l’observation par le jeune enfant des rôles genrés des parents contribue à la perpétuation des stéréotypes. Sans blague !
Agir à l’école pour ancrer une culture de l’égalité
Avec notamment un enseignement de sensibilisation aux stéréotypes et d’éducation à l’égalité à partir du primaire et durant toute la scolarité.
Dégenrer l’orientation scolaire, les formations et les métiers
Lutter contre les stéréotypes véhiculés par les réseaux sociaux et les plateformes numériques
Et notamment le développement à l’éducation aux médias et à l’information.
📌 Actu dans l’actu : la ministre de l'Éducation nationale, Élisabeth Borne, a lancé le plan “Filles et maths” afin d’attirer plus de jeunes femmes dans les formations aux métiers d’ingénieur et du numérique. Le premier pilier ? “Sensibiliser et former tous les professeurs dès la rentrée 2025 − du primaire au lycée”. Il devra permettre par exemple que les filles soient plus souvent interrogées en classe, même si elles ne lèvent pas la main. Vous voyez le genre ?
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🗞️ Le vrac d’actu
Un condensé d’infos engagées à consommer sans modération.
👉 Non potable. On attaque les news par le plus énervant (inquiétant? insupportable?) et on passe à autre chose. La préfecture du Haut-Rhin a interdit la consommation d’eau du robinet pour les personnes “sensibles” dans onze communes du Haut-Rhin à cause de polluants éternels, les PFAS. Autrement dit, si vous êtes immunodéprimé, enceinte ou allaitante, avec un bébé de moins de 2 ans, il vous est désormais demandé de laisser votre robinet fermé et d’aller vous ravitailler en bouteilles d’eau au centre commercial du coin. On en a parlé dans de nombreux numéros précédents, vous le savez, la contamination aux polluants de notre eau du robinet est massive et les voyants des seuils sanitaires virent au rouge régulièrement. Nous y sommes donc.
“La situation que connaît aujourd’hui l’Alsace nous permet de voir avec quelques mois d’avance ce qui va se passer partout en France dans quelque temps.” François Veillerette, cofondateur de Générations futures.
Réjouissant.
👉 T’as la fibre ? Comme on n’est pas du genre à vous laisser sur votre faim de la bonne nouvelle, en voici une qui vous réconfortera. Figurez-vous que manger des fibres contribuerait à réduire les quantités de PFAS dans notre corps. Selon une étude, les fibres formeraient ainsi un gel dans la paroi intestinale qui empêcherait l’absorption des PFAS. Qu’attendez-vous pour foncer aux rayons fruits et légumes, fruits secs, légumineuses, et autres céréales complètes ? Plus vite que ça.
👉 Mauvais calculs. La Cour des comptes fait le constat d’un “système éducatif en situation d’échec” dans un rapport consacré aux écoles maternelles et élémentaires, qui déplore “un niveau inacceptable” des élèves et une “incapacité” de l’action publique à résorber les écarts de niveaux. Le rapport invite aussi à réfléchir au temps scolaire et à la fameuse semaine de 4 jours “en inadéquation avec les intérêts de l’enfant.” 3 défis majeurs à relever selon la Cour des comptes :
“le bien-être” des élèves avec une meilleure articulation des temps scolaire, périscolaire et extrascolaire
“l’usage du numérique”
“la transition écologique” qui impose notamment des travaux d’ampleur dans la moitié des 47 000 écoles françaises.
Un sacré chantier… qui mérite d’être mené.
👉 Les enfants, dehors ! C’est à l’occasion des Rencontres internationales de la classe dehors que plusieurs députés ont présenté une proposition de loi pour généraliser cette pratique dans les écoles françaises. Objectif ? “Permettre aux 12 millions d'élèves de vivre régulièrement des expériences d'apprentissage en plein air, dans un contexte où plus de 4 000 écoles, collèges et lycées font déjà classe dehors.”
“L'éducation au-dehors et au contact de la nature doit devenir un pilier fondamental de l'école pour former des citoyens conscients, résilients et engagés”, précise la proposition de loi.
Pas mieux. 👏
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Suite au prochain numéro !
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C'est vrai qu'on revient de loin en terme de stéréotypes de genre dans la littérature jeunesse. De gros progrès ont été faits. Mais il reste du travail.
Je crois que ce qu'il m'a le plus surpris quand j'étais en maternelle, c'est de constater que dès l'âge de 3-4 ans, les enfants ont tendance à attribuer spontanément le genre masculin aux personnages d'animaux dans les histoires qu'on leur lit.
L'ours, bah c'est forcément un "garçon", le lapin, pareil ! Cela en dit beaucoup...